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Photographies de Léonard Gianadda

Sculptures de Jef Gianadda

 

Cette nouvelle collaboration avec la Fondation Pierre Gianadda fait suite à l'exposition "Archéologie d'une passion" à la Galerie des Origines de Vaison-la-Romaine, en 2014. Cette précédente exposition évoquait les étapes de l'action de Léonard Gianadda en faveur de la sauvegarde et de la mise en valeur du passé antique de sa ville natale, Martigny.

 

Aujourd'hui, la Galerie des Origines présente une rétrospective des photographies de Léonard Gianadda réalisées au cours d'un voyage en Méditerranée, en 1960. Un périple de quatre mois engagé avec son frère Pierre, à la découverte des sites antiques les plus remarquables : Turquie, Syrie, Jordanie, Égypte, Libye, Tunisie. Des photographies qui ont désormais valeur de documents, au vu des dommages ou des destructions relevés depuis plusieurs années sur certains de ces sites, notamment à Hama et Palmyre en Syrie.

(Par un curieux effet de l'histoire, ce voyage fait écho à celui entrepris au début de l'Antiquité par un certain Sextus qui relia la ville d'Apamée en Syrie à la ville de Vasio.  À son retour, il éleva un autel dans la cité voconce pour remercier les dieux syriens de la Fortune de l'avoir protégé durant ce long périple).

 

 À la suite de ce voyage, la constitution, bien des années plus tard de la Fondation Pierre Gianadda à Martigny, en hommage à son frère décédé dans un accident d'avion, constituera pour Léonard Gianadda,  non un point de départ, mais un aboutissement de leur puissante relation fraternelle, nourrie de ces aventures fortes et initiatrices, sur les traces de bien des Sextus d'Apamée.

 

Cette exposition 2015 souligne aussi les liens culturels et historiques qui témoignent de l'unité et de la complexité du monde antique méditerranéen.

Au cours de ce voyage, Léonard Gianadda fixe sur la pellicule un monde en pleine mutation. Crise de la décolonisation, émergence du panarabisme, drame des réfugiés et de la misère sociale n'obèrent pas l'émotion, le charme des sites traversés et la richesse des rencontres, parfois racontées au fil d' anecdotes personnelles.

 

L'exposition permet le dialogue entre les photographies de Léonard et les sculptures de Jef Gianadda, son cousin. L'art et l'archéologie, une affaire de famille qui autorise cet échange, à Vaison-la-Romaine, entre deux personnalités sensibles à la question des origines et de la fragilité de la vie.

 

 Enfin, l'exposition donne à voir la juxtaposition de certaines images créant une esthétique propre à ce monde méditerranéen des années 60.  Les photographies interpellent notre imaginaire entre passé et présent, temporel et intemporel, et ce à la lueur des évènements tragiques et des bouleversements dont la Méditerranée est aujourd'hui le théâtre. 

 

Philippe Turrel

Galerie des Origines

 

 

 

Léonard Gianadda

En quête de Méditerranée

Sophia Cantinotti et Jean-Henry Papilloud

 

Chaque immersion dans les archives photographiques de Léonard Gianadda nous donne l’occasion de lever davantage le voile sur l’ensemble des reportages effectués en quelques années, entre 1952 et 1960. En 2008, année de la découverte des archives oubliées, une première exploration du fonds permet de baliser le terrain, mais, faute de temps, ce premier coup d’œil, bien que large et pertinent, ne met pas en perspective tous les reportages. Des approfondissements ont lieu au fil des occasions et des années.

L’apparition de nouveaux visages et de scènes de rue saisissantes nous révèle à chaque fois la sensibilité du photographe, sa capacité à poser un regard personnel et attentif sur l’humanité, sa manière de questionner la vie. Parmi ce tourbillon de rencontres surgissent aussi, omniprésents, les vestiges de civilisations passées. Que ce soit à Rome, Athènes, Le Caire, ou au cours du long voyage avec son frère Pierre autour de la Méditerranée, Léonard Gianadda observe, scrute les beautés du monde d’hier qui ont miraculeusement traversé le temps.

 

Devenu correspondant régulier pour des journaux et revues suisses, Léonard se rend en Egypte en 1956, à vingt-et-un ans. L’année suivante, avant un mémorable voyage au-delà du Rideau de fer, il visite la Tunisie, en passant par Rome, Naples et Palerme. En 1958, il explore Madrid, Barcelone, Séville, puis Casablanca, Rabat et Marrakech. Deux ans plus tard, il réalise, avec Pierre, dans un périple de quatre mois en VW Coccinelle, le « tour de la Méditerranée », par Sofia, Belgrade, Istanbul, Ankara, Alep, Beyrouth, Tyr, Amman, Jérusalem, Pétra, Le Caire, Tripoli, Djerba, Tunis, puis retour par l’Italie.

 

Armé d’un Roleiflex et d’un Leica, Léonard photographie la vie dans la rue, sur les marchés, les chantiers, les quais, les routes, dans les souks, les gares, le désert, au bord du fleuve ou près d’un puits. Mais cette mosaïque méditerranéenne ne serait pas complète sans la présence des somptueux vestiges du passé, eux qui font entièrement partie de l’imaginaire collectif et aux côtés desquels on ne passe jamais sans s’arrêter. Pour Léonard Gianadda, la Méditerranée est en effet aussi un vaste territoire d’explorations historiques et artistiques, façonné par des récits immémoriaux fascinants.

 

En 1960, les clichés de multiples sites grandioses scandent les arrêts dans les villes et village qui croisent la route des deux frères : palais, amphithéâtres, bains thermaux, temples, arcs de triomphe, allées de sphinx… L’agitation perçue dans les rues laisse soudain place au silence des pierres. Les hordes de touristes ne sont pas encore là.

Quinze ans plus tard, le nez dans les affaires et la photographie oubliée, la découverte d’un temple dédié au dieu Mercure sur un de ses terrains à bâtir rappellera à Léonard Gianadda ses premières émotions, au temps de ses escapades de jeunesse. De manière systématique, il choisira alors, contre son intérêt de constructeur, de préserver pour le public et les générations futures toutes les découvertes archéologiques sur les chantiers de ses immeubles.

 

(Sophia Cantinotti et Jean-Henry Papilloud sont les auteurs de l’exposition et du catalogue Méditerranée (1952-1960), photographies de Léonard Gianadda, Fondation Pierre Gianadda, 2013)

 

 

L'exposition Méditerranée antique par Xavier Delestre

conservateur général du patrimoine

conservateur régional de l'archéologie

de Provence-Alpes-Côte d'Azur

 

Les pays Méditerranéens et du Moyen-Orient sont le berceau des civilisations. L'abondance des ruines aujourd'hui visibles et leur état de conservation en font des témoins essentiels pour un contact intime avec ces sociétés antiques. Paradis pour les touristes, ils le sont aussi pour les chercheurs. 

Hélas, cette vision idyllique du patrimoine est maintenant tristement mise à mal par des fanatiques incultes. Impuissants, nous assistons à la disparition de très nombreux sites archéologiques majeurs par dynamitage et aux pillages des musées devenus pour ces vandales de véritables cavernes d'Ali Baba dans lesquelles prennent naissance des trafics d'oeuvres d'art, pourvoyeurs d'argent pour l'achat d'armes.  Certes, au cours des temps passés, des destructions aussi violentes ont été opérées sur les monuments et sur les objets tout aussi bien en Occident qu'ailleurs. Il serait aisé mais fastidieux et inutile d'en dresser ici une liste. On espérait seulement que cela fusse d'un autre temps et que l'on retienne les principes adoptés à la Haye en 1954 prévoyant la protection des biens culturels en cas de conflit! 

 

C'est en ayant en mémoire cette triste réalité que j'ai regardé avec joie les photographies de Léonard Gianadda. Elles ne peuvent être en effet considérées à présent comme de simples souvenirs d'une itinérance autour de la Méditerranée faite de rencontres avec des sites, des paysages et des hommes. Avec les années qui passent, elles sont devenues des témoignages et de véritables documents d'histoire. Comment ne pas se laisser aller à la rêverie et ne pas suivre les pas de cet homme juché sur un âne qui se dirige vers un arc de triomphe à Palmyre donnant l'impression que lui même franchit une limite fictive entre le présent et le passé. Comment rester insensible face à la beauté de ces statues découvertes en Syrie et tant d'autres choses encore. 

Le noir et blanc et le cadrage du photographe font le reste même si bien sûr ces images sur papier glacé ne pourront jamais faire oublier les dommages que ces sites viennent de connaître. Puissent-elles servir au moins à la sensibilisation des plus jeunes pour qu'au-delà des mots on parvienne à dépasser la folie des hommes et protéger ces trésors de l'humanité. Chacun est le propriétaire de ces parcelles de notre patrimoine commun, de cette source bénéfique dans laquelle se trouve un peu de notre identité et de notre histoire. C'est à cette prise de conscience que nous invite Léonard Gianadda en nous offrant cette belle exposition photographique dans un autre écrin patrimonial provençal, Vaison-la-Romaine. 

Ne résistons pas à la tentation et au plaisir de cette découverte en nous laissant conduire dans ces pages d'histoire par un visiteur attentif et éclairé qui a eu le privilège, il y a plusieurs décennies, de cette rencontre intime avec l'Histoire. 

 

 

 

Messages de l’en-deçà

Jef Gianadda

Artiste peintre et sculpteur

 

Les « vielles pierres » m’ont toujours attiré – pour ne pas dire fasciné. Quelle étrange formule, par ailleurs ! Les pierres ne sont-elles pas nécessairement vieilles ? Nous nous comprenons. J’aime les vestiges, les ruines. De tout temps. Et de toutes les époques. Moins par nostalgie d’un passé forcément inconnu que par sentiment – bien longtemps inconscient, juste intuitif – de lien avec une généalogie invisible mystérieuse et lointaine, mais pourtant bien réelle.

 

Ne sommes-nous pas « faits » de tous ceux qui nous ont précédés, de tout ce qui a existé, jusqu’au plus profond des temps, même au plus éloigné géographiquement ?

 

Dans son indispensable N’oublie pas les chevaux écumants du passé (Albin Michel, 2005), Christiane Singer l’a écrit ainsi : « Car bon gré mal gré nous vivons sur l’acquis multimillénaire de ceux qui nous ont précédés. Nous foulons la terre des morts, habitons leurs maisons, bien souvent ensemençons leurs terres, cueillons les fruits des arbres qu’ils ont plantés, terminons les phrases qu’ils ont commencées. Pas un coin de rue, pas une route, pas un pont, pas un tunnel, pas un paysage où n’ait œuvré une foule invisible. »

 

Dans notre arrogance frénétique et amnésique, nous avons trop souvent tendance à oublier que nous sommes issus de ces lointains tissus, filles et fils de peuples ancestraux, nés de ces passés qui paradoxalement nous dépassent, héritiers d’incalculables générations et civilisations disparues, attributaires d’un patrimoine remontant jusqu’aux préludes de la vie, bénéficiaires d’une évolution dont nous ne serons, dans un futur pas si lointain, qu’un modeste maillon.

 

Il y a danger à ne pas s’en souvenir, car comme l’écrit encore si justement Christiane Singer, « l’oubli est la fin de toute culture et l’invitation à oublier, le signal de la mise en servitude ».

 

Les « vieilles pierres » sont certes silencieuses, mais pas muettes. Racines visibles de l’histoire, archives du monde manifesté, ADN de nos étymologies humaine et culturelle, sources nourricières du présent, elles racontent nos origines, expliquent l’ici et maintenant tout comme elles nous informent sur notre avenir. Le percevoir, c’est non seulement révérer l’ensemble de l’humanité passée, mais c’est encore célébrer les mystères de l’univers.

 

Je suis bien sûr le direct descendant d’une lignée familiale, locale, régionale, presque banale perçue ainsi dans l’étroitesse de son narcissique égocentrisme ; mais bien en deçà, bien avant cela, me référant à quelques-uns de ces merveilleux et précieux témoignages photographiques de Léonard Gianadda, je suis aussi de Pétra (Jordanie), de Sofia (Bulgarie), de Hama (Syrie), de Sabratha (Libye), d’Istanbul (Turquie), de Beyrouth (Liban), du Caire ou de Louksor (Égypte), comme de bien ailleurs encore, et parfois de partout à la fois.

 

Voilà, je crois, ce que j’ai toujours souhaité exprimer dans mes peintures comme dans mes sculptures (qu’elles soient d’acier ou de bronze) : l’empreinte du préexistant, la trace des ascendants, la marque du temps, la griffe du vent, la porosité du destin, la fragilité de la vie…

 

Évoquer l’invisible, suggérer l’évaporé, esquisser la vulnérabilité, exalter le vibrant… afin d’honorer le vivant et ne pas oublier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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